Fondé en 1985, le Collectif Féministe Contre le Viol offre aux victimes d’agressions sexuelles plusieurs services d’aide et d’information : écoute téléphonique, groupes de parole, accompagnement aux procès, formations des professionnel.le.s… Mais l’association a surtout beaucoup contribué à changer les mentalités et améliorer la prise en charge des victimes – notamment grâce à l’engagement infatigable de sa présidente, Emmanuelle Piet, médecin de PMI et fervente défenseuse des droits des femmes. LET’S LOOK AFTER lui a posé quelques questions afin de dresser un état des lieux de la lutte contre les violences sexuelles en France.
Quelles sont les principales revendications du CFCV ?
Nous pensons qu’il ne devrait pas y avoir de prescription en matière de viol, étant donné que beaucoup de gens mettent longtemps avant de porter plainte : parce qu’ils sont sous emprise ou parce qu’ils souffrent d’une perte de mémoire traumatique par exemple.
Nous souhaitons également que tout acte sexuel – surtout s’il y a pénétration – impliquant une mineure de 13 ans soit considéré comme un viol, si c’est un majeur qui a commis l’acte. Malgré les nombreux cas portés à notre attention ces derniers temps, la loi ne change pas : c’est à la victime de prouver qu’il y a eu menace, contrainte, violence ou surprise, et ce même si elle a 7 ans. Nous ne sommes vraiment pas d’accord avec ça.
Nous voudrions aussi que les prises en charge psychologiques des victimes de viol soient remboursées à 100 % car nous rencontrons énormément de personnes qui pourraient et devraient bénéficier de soins mais n’en ont tout simplement pas les moyens.
Enfin, nous aimerions qu’il y ait des progrès au niveau de la prise des plaintes pour viol. Aujourd’hui encore, lorsque l’on va porter plainte, sur le bureau du fonctionnaire de gendarmerie se trouve le texte de loi relatif à la dénonciation calomnieuse. En gros, on menace implicitement les personnes qui vont porter plainte de 2 ans de prison, ce qui est tout de même extrêmement dissuasif en plus d’être peu sympathique. Et ce n’est qu’un exemple parmi d’autres.
Tout ceci suppose de former davantage et mieux les professionnel.le.s. Idéalement, toutes les personnes qui travaillent au contact d’autres êtres humains devraient être formées au dépistage des violences sexuelles : médecins, assistantes sociales, professeurs…
Qu’en est-il du regard que pose la société sur les victimes de violences sexuelles ?
Selon un sondage lancé en 2016 à l’initiative de Laurence Rossignol, ancienne ministre des Droits des femmes, environ 66% des Français estiment que les femmes victimes de viol ne sont pas responsables. Cela signifie qu’il y en a encore quand même 34 % pour penser qu’elles l’ont bien cherché. Donc je pense que le regard posé par la société sur les victimes de violences sexuelles peut encore s’améliorer, notamment l’idée préconçue selon laquelle une victime de viol-type, c’est une fille qui se balade toute seule en minijupe la nuit à Pigalle et se fait agresser par un inconnu. C’est faux : plus de 80 % des violeurs sont des personnes appartenant à l’entourage de la victime.
Le pire, c’est au niveau des enfants victimes de viols : on ne les entend pas, on ne les protège pas. La loi prévoit plein de précautions pour protéger l’agresseur présumé mais pas du tout l’enfant. Globalement, l’enfant est présumé menteur.
C’est vraiment une situation à laquelle il faut remédier car nous recevons de plus en plus d’appels de personnes ayant été violées dans l’enfance et qui disent avoir parlé, avoir rencontré des adultes qui ont essayé de les défendre, mais qui ont malgré tout dû rester chez leur violeur ou dans son entourage pendant très longtemps. Et ça, ce n’est pas supportable.
Quels autres mythes restent à déboulonner au sujet du viol ?
La pulsion sexuelle du violeur ! L’idée selon laquelle « il n’a pas pu se retenir » ou « il n’avait pas compris que tu ne voulais pas ». Non, c’est un mensonge : ce qui excite un violeur justement, c’est le fait que tu ne veuilles pas.
Et puis j’ai un peu de mal avec la notion de consentement : consentir, ce n’est pas avoir envie de faire l’amour, c’est accepter tout juste, ce qui n’est pas très positif. On a des relations sexuelles parce qu’on en a envie, pas juste parce qu’on y consent. Et c’est remettre la femme dans un rôle un peu étrange quand même : « je consens à avoir une relation sexuelle ». En gros, elle n’a pas besoin d’avoir envie, il faut juste qu’elle y consente. Mais si elle n’a pas envie, il ne faut pas qu’elle se force ! Cela sous-entend aussi que les messieurs peuvent ne pas avoir compris qu’elle n’était pas consentante : « Oups, trop tard, mais je ne suis pas un violeur ! ». Ça ne marche pas comme ça.
Une autre idée fausse, c’est celle du « violeur unique », qui a eu un dérapage une fois mais est par ailleurs un homme normal. C’est faux : un violeur est un violeur et, si on ne l’arrête pas, il va poursuivre sa carrière de violeur auprès d’autres femmes, de ses filles, de ses petites-filles…
Quels conseils donneriez-vous aux proches d’une victime d’agression sexuelle ?
Ne pas questionner le comportement de la victime avant, pendant ou après l’agression. Elle a fait ce qu’elle a pu, et on ne peut absolument pas remettre en question ses actes. Ne surtout pas dire « Oh, tu n’as pas pressenti le danger ? » ou « Ah, mais t’as vu comment t’étais habillée ! », « T’aurais pu te défendre » : toutes ces petites phrases bien intentionnées qui ne vont faire qu’enfoncer la victime. En vrai, elle s’est défendue comme elle a pu, elle a fait du mieux qu’elle pouvait pour elle et personne n’a à questionner ça.
Comment pouvons-nous lutter contre la culture du viol en tant que citoyens ?
Déjà, il faudrait faire un grand nettoyage dans notre vocabulaire. Ne plus employer des expressions comme « tournante », « elle s’est fait violer » ou « abus sexuel » par exemple : dire plutôt « viol en réunion », « elle a été violée », « agression sexuelle ». Les tournures de phrases et les mots que nous employons contiennent des messages.
Enfin, avez-vous un conseil à une victime ou ancienne victime de violences sexuelles ?
De ne pas se sentir coupable ni remettre en question son comportement. Qu’elle ne se dise pas qu’elle aurait pu l’éviter, qu’elle a mal réagi ou qu’elle a eu les mauvais réflexes : c’est le réflexe qu’a choisi son cerveau à ce moment-là pour rester en vie.
Et aussi que ça se répare, qu’on peut l’aider à sortir de ça, et qu’il y a une vie après.
Propos recueillis par Xuân DUCANDAS
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